Jardinage: « Les potagers sont des espaces d'échanges »
INTERVIEW - Cécile Ratsavong-Deschamps est psychologue et présidente de l' association Médecines, cultures et paysagesLE FIGARO. - Comment l'hortithérapie s'est-elle imposée dans votre parcours?Cécile RATSAVONG-DESCHAMPS. - Par hasard. Je suis citadine et me suis retrouvée en poste dans une région très rurale, l'Aveyron, à l'hôpital-maison de retraite de Saint-Geniez-d'Olt. Cet environnement a son importance: la plus grande partie de mes patients (atteints de troubles cognitifs, de la maladie d'Alzheimer ou de psychopathologies plus anciennes…) venait du milieu agricole. D'ailleurs, j'avais remarqué que dès qu'ils sortaient à l'air libre, beaucoup regardaient spontanément le ciel pour savoir quelle heure il était. Un patio non aménagé était délaissé au centre des bâtiments. Il m'a semblé que ces patients, retenus dans une unité de soins de longue durée et sans accès direct sur l'extérieur, avaient intérêt à retourner davantage au grand air. Nous avons donc mené une enquête sur leurs besoins, ce qui m'a déjà permis de parler et évoquer leur passé avec certains d'entre eux. Nous avons aussi écouté les soignants, le personnel. De cette investigation est née l'initiative de créer un jardin thérapeutique. Celui-ci, de 800 m2, est actuellement encore en construction, mais nous avons déjà aménagé des carrés potagers au sol, d'autres en hauteur pour les patients qui restent debout, ainsi que des carrés adaptés aux personnes en fauteuil roulant et pouvons déjà constater les bienfaits apportés par un tel aménagement.
Cécile Ratsavong-Deschamps.Que vous apporte celui-ci dans votre quotidien de psychologue?D'abord, un changement de cadre très profitable. Cette population, peu familiarisée à la psychologie, serait assez fermée à certains entretiens, alors que là, au milieu du potager, la parole se libère. Le simple fait de sortir et d'aller au jardin en individuel ou en petit groupe crée une relation privilégiée entre eux et moi. Et regarder les fleurs ou les légumes ensemble, écouter les oiseaux, même si nous ne parlons pas, facilite une rencontre thérapeutique. Je peux de mon côté leur poser tout un tas de questions qui m'en apprennent beaucoup sur eux et permettent une inversion des rôles très salutaire. Ainsi, le jardin offre du bien-être aux soignants autant qu'aux patients!En quoi peut-on dire que le jardin les soigne?Les potagers sont des espaces d'échanges. Les patients qui se retrouvent avec une pelle ou un arrosoir à la main, joignent plus facilement la parole au geste et se trouvent replongés dans une activité qui redonne du sens à leur existence. Ils discutent entre eux des semis à privilégier, ne sont pas toujours d'accord… Au jardin, tous les sens sont stimulés: l'odorat - ils peuvent reconnaître la menthe du basilic -, l'ouïe - ils écoutent les oiseaux -, la vue, bien sûr - on leur demande quelles plantes ou fleurs ils préfèrent, etc. La mémoire aussi se remet en marche. Ceux qui ont été cultivateurs se retrouvent valorisés. De nombreuses femmes, notamment, qui faisaient pousser des légumes dans l'ombre et étaient peu reconnues, minimisant ce qu'elles avaient accompli dans leur jeunesse, trouvent une réelle source d'estime d'elles-mêmes. On observe une certaine valorisation aussi chez ceux qui découvrent cette activité aujourd'hui. D'ailleurs, ils s'empressent d'offrir aux soignants des paniers de fruits ou légumes qu'ils ont cultivés!Pensez-vous que de telles initiatives vont se développer?Hélas, la crédibilité de l'hortithérapie n'est pas gagnée! Nous pouvons montrer que ces outils existent, mais il faut énormément de temps, et de moyens financiers, pour évaluer en chiffres ce qu'ils apportent et qui est bien davantage qu'une simple promenade au jardin. Cependant, l'observation est une première étape, fondatrice, de la science. Nous en sommes là.